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Conférence réalisée par Guillaume WINTER

Mardi 5 Décembre 2023

JONATHAN SWIFT ET LA SATIRE

Il faut se replacer au début du 18ème siècle. L’Irlande est envahie par les Anglais.

Jonathan Swift est un auteur irlandais.

Il a fait ses études dans une grande université à Dublin. Il est lettré, cultivé, connait très bien les textes classiques et religieux. C’est plus qu’un auteur, il s’est éclipsé derrière l’œuvre.

 

Il a été assistant d’un diplomate, a été instructeur, s’est retrouvé dans une position religieuse non négligeable, prêtre d’abord puis doyen de l’Eglise Saint Patrick à Dublin. Si ce n’étaient ses écrits, il aurait pu devenir évêque.

Il a une grande maîtrise des textes et des religions.

 

Il fait d’abord paraître quelques pamphlets : querelles des anciens et des modernes. Il publie en 1704 Tale of Tub, un des premiers textes les plus importants de l’auteur. Début 18ème, ses textes commencent à être connus.

A Londres, il rencontre Alexandre Pope, grand critique de l’époque. Ils deviennent amis et écrivent des textes ensemble : met en avant quelqu’un qui prétend raconter sa vie, mais invente pour se moquer de la littérature contemporaine et des scientifiques trop centrés sur eux-mêmes.

 

 

Membre du clergé irlandais, Jonathan Swift va aussi être membre du parlement anglais.

Il va être témoin de la dualité politique entre les tories et les whigs, passant de l’un à l’autre parti, conseillant les uns, écoutant les autres. Il est au milieu des querelles esthétiques, religieuses, politiques.

Entre 1711 et 1714, il travaille avec les membres du gouvernement tories. Il constate le décalage entre les conditions de vie en Irlande (grande pauvreté) et en Angleterre. Il se fait le messager de la cause irlandaise et crée des textes de nature politique, pour l’indépendance de l’Irlande.

Pour empêcher que les enfants pauvres soient un fardeau pour leurs parents, Jonathan Swift écrit en 1729 un essai intitulé « Une proposition modeste ». L’essai suggère qu’au lieu de permettre aux enfants pauvres et affamés de devenir un fardeau pour la société, ils devraient être engraissés et mangés, satire grotesque, vraie critique sociale.

Entre 1710 et 1720, J. Swift exerce comme doyen de la cathédrale Saint Patrick de Dublin, ce qui ne l’empêche pas de donner libre cours à son expression, à ses pamphlets. Gulliver en sera un exemple : on a l’impression que c’est une œuvre pour nous divertir, mais derrière cette surface se cache un pamphlet social, politique.

C’est l’époque du roman en langue anglaise : Robinson Crusoé, roman d’aventures anglais de Daniel Defoe, publié en 1719.

Le narrateur veut nous faire croire que tout cela est vrai, dit que ce sont des textes qui ont été retrouvés. Tout est présenté pour faire croire en la véracité. Ce qui plaît au lecteur, c’est le récit des voyages. On nous fait croire à la réalité physique d’une personne : Gulliver, d’abord chirurgien, puis capitaine de plusieurs bateaux. Il n’y a aucune réalité, tout est inventé. Il raconte les aventures du capitaine Lemuel Gulliver alors qu’il découvre le monde au gré de ses navigations. Il fera quatre voyages.

Comment se définit la satire

La satire a toujours un objet : l’organisation de la société, les rapports humains, le monde politique, le monde économique, le rapport au pouvoir.

Derrière ce qui nous fait sourire, il y a une critique très féroce ; la politique, la morale de l’époque sont attaqués de manière virulente.

La satire est une déformation de la réalité, mais qu’on ne doit pas perdre de vue.

 

Lemuel Gulliver fera quatre voyages**.

En 1ère partie, on réduit ce qui est grand, en 2ème partie, on agrandit ce qui est petit. Le rapport d’échelle est fondamental. En 3ème partie : c’est la raison humaine, l’excès de rationalité qui sont mis en cause. En 4ème partie, il y a inversion entre l’humain et l’animal.

 

Comment ce mode fonctionne-t-il ?

On utilise le récit du voyage. On part des conventions de récits de voyage, que l’on parodie. Un certain nombre de genres littéraires emploient cette imitation parodique. La parodie contribue à la fonction, l’identité satirique de l’œuvre. Il faut faire attention au degré d’humour et de distance. Il y a une dimension burlesque :  situations humaines exagérées, éléments scatologiques (il y a toujours une critique sous-jacente).

 

Comment fonctionne la double voix de Swift : c’est une dimension géniale ; mais plus on le dit, moins c’est vrai.

Si Gulliver dit que quelque chose est génial, c’est tout le contraire ; exemple : poudre à canon, c’est atroce.

La voix de Gulliver et la voix de Swift : des antiphrases.

Une ironie de la situation : ironie perpétuelle. Décalage entre ce qui est dit et ce qui est pensé.

C’est aux dépends de Gulliver : Swift utilise Gulliver pour critiquer quelque chose. Quand Gulliver se ridiculise, il faut comprendre le contraire. L’écrivain veut introduire une complicité avec le lecteur. L’écrivain joue avec nous.

STRUCTURATION DE L’OEUVRE

Une carte imaginaire est proposée au lecteur. Les mouvements de Gulliver ont été reconstitués sur une carte. L’ouvrage est très illustré (pas dans la première édition, mais dans celles à partir du 19ème siècle).

4 parties, 4 récits, 4 mouvements, équivalents en termes de longueur. On part toujours d’Angleterre.

 

Quelle est la logique derrière ces 4 parties ?: chaque topographie a sa propre dimension, intention satirique, comme si on visitait 4 endroits différents du monde, reflet de la théorie des humeurs ? reflet de tempéraments psychologiques différents.

 

Dans la première partie, Gulliver est un géant parmi les lilliputiens. Dans la deuxième partie, on inverse les perspectives. Gulliver est petit par rapport aux géants.

Lecture qui a à voir avec l’optique : on n’a plus la même conception du monde selon notre taille : ce qui est infiniment petit n’a pas forcément moins de valeur que ce qui est grand : exemple d’une fourmi qui est capable de porter sur son dos entre 10 et 50 fois son poids.

En troisième partie, on va critiquer ce qui est théorique, abstrait, scientifique. C’est une critique féroce de l’excès de la science. La quatrième partie relève du manichéisme : renversement des valeurs entre l’homme et l’animal.

Ière partie : idée que Gulliver serait un être tout puissant dans le monde des lilliputiens. L’homme montagne, qui représente une menace pour les uns et les autres. Renvoie à la question sur les pouvoirs, les rapports de force, notamment dans une guerre.

D’un point de vue optique, c’est comme si on regardait les choses avec un télescope. Tout devient minuscule.

IIème partie : c’est comme si on regardait dans un microscope. Est offerte une lecture conceptuelle des rapports : questions philosophiques. Tout est question de point de vue, de relativité. Les philosophes ont raison quand ils disent que rien n’est petit que par comparaison. Quelle est la place de l’homme dans le monde. Tout le monde admire les capacités de Gulliver à écraser tout le monde.

Lorsqu’un roi a un point de vue (en l’occurrence le roi d’Angleterre), par rapport aux autres rois dans le monde.

 

Comment réagissons-nous devant l’infiniment grand et l’infiniment petit. Dans le livre 1 se livre une guerre féroce entre deux peuples : comment couper son œuf ! Fait allusion aux différents entre protestants et catholiques. C’est le même œuf=c’est le même texte.

Il propose une réflexion très sérieuse sur les guerres de religion.

 

La force de Swift, c’est son universalité : les impossibilités de s’entendre entre les peuples à cause de leur religion (thème qui reste d’actualité !).

Lorsque Gulliver (petit) se propose d’offrir au roi une arme extraordinaire : la poudre à canon, pour s’attirer les faveurs de sa majesté. Mais ce roi est dans un pays lointain, il ne comprend pas. Swift dénonce ainsi le colonialisme. Gulliver dit qu’il faut se montrer indulgent par rapport au roi qui n’a pas les vertus. C’est une vision prétentieuse, une condescendance des Anglais par rapport aux autres nations et de leur prétendue infériorité.

Gulliver décrit la poudre à canon comme pouvant faire une déflagration plus forte que le soleil. Il pense que le roi va adopter cette proposition, qui lui permettrait d’être maître du monde. Cette arme a un pouvoir de destruction très important, mais la réaction du roi va être à l’inverse de ce qu’il voulait. Le roi fût saisi d’horreur, stupéfait qu’un insecte (Gulliver) puisse nourrir des idées inhumaines, et se montre insensible aux conséquences de la destruction. Il s’agit d’une critique féroce de la guerre, de la guerre moderne.

 

Gulliver représente l’inhumanité du monde moderne, la capacité à détruire. Gulliver est un mauvais génie, l’ennemi du genre humain. Swift met à juste distance la supériorité européenne, sur le reste du monde, et pour l’Angleterre, sur les pays qui l’entourent.

 

A ce jour, irlandais et anglais sont encore divisés (en 1916, les Anglais voulaient conquérir l’Irlande).

 

IIIème partie : l’île flottante.

C’est la partie la plus conceptuelle, écrite en dernier. Il s’agit de la critique d’un excès de raison, tout est objet philosophique, tout est débattu. Idée qu’il y a des créatures immortelles : si j’étais immortel, j’accumulerai les richesses, la science.
Swift démontre que les êtres immortels ne sont pas supérieurs, ils s’ennuient. Ils n’ont pas la même vision du monde. L’idéal est une impasse. Tout est question de perspectives, de décalage.

 

IVème partie : l’inversion entre l’animal et l’humain.

Les créatures rationnelles sont les chevaux, doués de raison. Les créatures humaines sont les Yahoos : être dégénérés. Peut être que Gulliver est un Yahoo en puissance. Il donne avec prétention comment rationnaliser le monde.

 

La conclusion est assez cinglante : Gulliver se retrouve en marge de cette société. Il s’agit d’une réflexion philosophique : ceux qui ont la juste vision du monde, qui ont une vision politique qui exclut le monde (société compartimentée). Gulliver qui pense être instruit, c’est lui qui est instruit pas des êtres supérieurs.

Le lecteur ne s’identifie pas à Gulliver, car ne veut pas être entraîné dans ses travers à lui. Gulliver est rejeté du monde, lui qui a rejeté lui-même le monde. Gulliver est relativement misanthrope. Quand il revient, il ne peut plus être avec ses semblables. Ses voyages lui montrent que l’être humain est assez « petit », « mesquin ».

GULLIVER, LE PERSONNAGE

Swift a glissé dans le nom de Gulliver deux racines :

  • Ver : vient du latin, vérité. Celui qui dit la vérité. Est-ce qu’il y a une sorte de vérité : non.

Peut-on se fier à Gulliver, est-il fiable ou pas.

  • Gulli : gullible en anglais veut dire crédule, qui n’a pas de distance, ne se rend pas compte qu’on lui a rapporté des « bobards ».

Gulliver : un grand et splendide menteur.

Le récit de voyage est un contrat avec le lecteur de ce qui devrait être vrai, mais raconté par quelqu’un qui est peu crédible, car trop crédule.

On se rend compte que Gulliver est en quelque sorte un « jouet ». Il utilise le Je.

Le personnage n’évolue pas. Le personnage est une convention, un outil ,une marionnette dans les mains de l’auteur.

Mode satirique dans certains cas, ou porte-voix de Swift dans d’autres cas è difficultés pour le lecteur.

 

Ce n’est pas un personnage construit, il n’a pas tellement d’épaisseur. Il se retrouve comme dans des épisodes dans des situations rocambolesques : ce n’est pas un conte pour enfants !

Le sens nous est donné par notre propre capacité à comprendre que Gulliver est un être peu fiable, prétentieux qui veut imposer son point de vue. Il n’a pas d’épaisseur humaine, ce qui permet au lecteur de prendre de la distance. C’est une construction de fiction. Gulliver est un personnage qui a des œillères, le jouet de Swift, qui le place dans des situations diverses, dont il est souvent victime. Les situations le dépassent, il n’a pas la perspicacité de celui qui a vu le monde, il est dans l’instant présent.

Le jeu pour nous est de se trouver dans la bonne distance. Se dire : qu’est ce qui est critiqué, qu’est-ce qu’il y a derrière tout cela.

Le contexte dans lequel le roman a vu le jour : philosophique, scientifique, politique, a une universalité qui lui permet d’être actuel. Dans notre rapport au monde par rapport aux autres : quel est le positionnement philosophique et éthique.

Dans la première édition des Voyages de Gulliver, il n’y a pas le nom de l’auteur, car cela est sensé avoir été écrit par Lemuel Gulliver, et il faut faire durer le suspense. Mais des amis écrivent à Jonathan Swift au sujet de Gulliver. En 1726, pas besoin de présenter l’œuvre, les gens comprennent. Dans les éditions à partir de 1750, Swift signera son nom.

                                                                              Marie Pierre Fourdinier , 5/12/2023

                                                                              UTL Pévèle Carembault

 

*Illustrations Wikipédia, et autres sites

**Sources internet :résumé des voyages :

 Le plus célèbre de ses voyages le fait échouer à Lilliput. Dans cette île, Gulliver découvre les lilliputiens. Il leur apparaît comme un géant. Les habitants sont en guerre incessante contre les habitants d’une île voisine. La raison ? Chacun est persuadé de savoir par quel bout il faut entamer un œuf dur !

 Dans son deuxième voyage, il se retrouve dans une île peuplée de géants . Gulliver est donné comme jouet à la fille du roi.

Il rencontre plusieurs peuples dans son troisième voyage : un peuple de scientifiques, un peuple d’immortels mais qui vieillissent et tombent malades, et un peuple de sorciers qui lui permettent de rencontrer des personnages historiques.

 Enfin au pays des Houyhahoms, qui sont des chevaux intelligents et sages, il rencontre les Yahoos, qui sont des êtres dégénérés et immondes qui font penser étrangement aux humains.