Conférence réalisée par

Achmy HALLEY    

Mardi 4 avril 2023

UN ATTACHEMENT A SA TERRE NATALE ET A SES ORIGINES

Le 8 juin 1903 nait à Bruxelles Marguerite de l’union de Michel Cleenewerck de Crayencour (rentier) et de Fernande de Cartier de Marchienne, mère qu’elle ne connaîtra jamais car elle décède 11 jours  après sa naissance.

De double ascendance française et belge, c’est cependant au Mont-Noir, où sa famille paternelle possède un domaine, que le père de Marguerite décide de revenir. Et c’est dans un milieu bucolique qu’elle s’épanouit de ses premiers jours jusqu’à 7 ans. La « fille du château », vêtue de crinoline, vit entourée d’animaux et de belle verdure.

La famille n’y vit qu’en saison, de Pâques à novembre. Marguerite est élevée par une nourrice, Barbe, et bénéficiera d’un enseignement par des précepteurs, et les sœurs du village de Saint- Jans -Cappel, pour le latin, le grec, les mathématiques. Elle découvrira la littérature par un monde que lui ouvre son père, à travers les voyages, les lectures, les visites de musées, les sorties au théâtre.

Son père décède en 1929. Elle gardera de cette époque « flamande » un profond attachement. Elle continuera une correspondance avec la « fille du garde », qu’elle reverra ultérieurement.

Elle reviendra dans les Flandres, au Mont Noir au moment de son entrée à l’Académie française, sur l’invitation d’un instituteur, grand admirateur de son œuvre. Elle viendra y défendre la préservation des territoires, et notamment des Monts de Flandres, avec la création d’un espace naturel sensible.

 Marguerite Yourcenar a créé une fondation, pour conserver sa maison, qui est devenue un musée.

Entre temps, elle aura été à la recherche de ses ancêtres, de ses origines, qu’elle traduira dans un cycle autobiographique ; elle se réinvente une mère, raconte son père aussi. Elle se replonge dans les familles, leurs secrets : Souvenirs Pieux (1974), Archives du Nord (1977), Quoi ? L’Eternité (1988)

LA DECOUVERTE DU MONDE

L’Italie

C’est son père qui, le premier, lui fait découvrir d’autres pays, d’autres cultures, depuis sa petite enfance, et à l’adolescence. Il l’emmène en Italie, où elle séjournera, entre autres, à la Villa Adriana à Tivoli. C’est là qu’elle commencera à s’intéresser à l’empereur Hadrien.

Elle commence à écrire des poèmes à l’âge de 10/11 ans. Pour ses 17 ans, son père lui offre en cadeau d’anniversaire, la publication de ses premiers écrits.

En 1929, son premier livre : « Alexis ou le traité du vain combat », longue lettre d’un personnage qui vit dans le monde des musiciens, et qui écrit à sa femme pourquoi il doit la quitter, est remarqué par critique littéraire.

C’est le début de la carrière d’écrivain de Marguerite, qui signera désormais ses œuvres de Yourcenar (pseudo anagramme de Crayencour). Son père ne verra pas la parution de ce livre, qu’il avait qualifié de limpide, car il meurt d’un cancer, la laissant seule.

La Grèce

Alors Marguerite continue à voyager, à écrire. Elle passe six mois par an en Grèce. Elle s’inspire de la mythologie. Elle rencontre des artistes, fréquente les milieux anarchistes, mène une vie communautaire avec d’autres artistes, y rencontre les amours, vit des passions amoureuses, qui soit ne seront pas réciproques, soit doivent s’interrompre, et qui donnera lieu au livre « Feux » en 1936. Successivement deux hommes, puis une femme auront fait vibrer Marguerite.

 

Les Etats -Unis

Lors d’un retour sur Paris, Marguerite rencontre Grâce Frick, jeune américaine, professeur d’Université, qui l’invite aux Etats-Unis. En 1937, elle va la rejoindre, pour ensuite s’installer avec elle, d’abord dans le Connecticut (1939) puis dans une jolie maison de bois sur l’île des Monts Déserts, dans le Maine, près de la frontière canadienne à partir de 1950. C’est à Petite Plaisance qu’elle finira sa vie, seule, sa compagne étant décédé d’un cancer en 1979. C’est là que reposent ses cendres, aux côtés de celles de Grâce. Si elle n’a jamais dédié de livre à s compagne, elle décrira le rôle qu’elle a joué auprès d’elle dans son carnet de notes des mémoires d’Hadrien.

Le reste du Monde

En 1980, année de sa consécration à l’Académie Française, elle fait une nouvelle rencontre amoureuse. Photographe américain, Jerry Wilson (1949-1986).

Jerry lui redonne le goût de voyager, d’écrire, de vivre, d’espérer.

Elle parcourt l’Egypte, le Thaïlande, le Japon, l’inde, le Kenya, le Maroc : « Le tour de la Prison ».

Elle s’intéresse aux cultures asiatiques, au bouddhisme. Elle en a tiré une philosophie : « Soyez pour vous-même une lampe » sagesse bouddhique.

SES CAUSES, SES ENGAGEMENTS

La nature, les animaux

« Égalité totale de tous les êtres humains sans distinction de sexe et de couleur. Et pourquoi pas égalité de tous les êtres sans distinction d’espèce ?» Correspondance, 1977.

De son enfance sur les terres des Flandres, Marguerite a hérité de la conviction que la nature et l’environnement doivent être défendus. Elle soutient les associations défenseurs des animaux, elle rencontrera à cet effet Brigitte Bardot, dans les années 1980. Elle s’engage pour la préservation des territoires. Fin septembre 1987, elle donne une conférence sur l’écologie à l’Université Laval du Québec.

La cause afro-américaine

Elle va participer à de nombreuses actions aux Etats-Unis et en France, autour de l’antiracisme.

Eloge de la différence, défense de l’humanité.

« Nous apprenons chaque fois que nous rencontrons un être humain, chaque fois que nous serrons la main d’un Noir, chaque fois que nous avons une conversation avec un homme d’une autre langue ou d’une autre religion, d’une autre culture. Nous développons ce sentiment des ressemblances de l’humanité, du fait qu’il y a des différences passionnantes. Dans le monde des fleurs, une rose n’est pas une tulipe, une tulipe n’est pas un églantier et en même temps, ce sont toutes des plantes qui répondent aux mêmes besoins organiques, qui ont besoin du soleil et de l’eau de la même manière. […] Je crois qu’il est très souhaitable de cultiver les différences et que c’est à travers les différences que les ressemblances s’expriment. Sans ça, ce ne serait plus des ressemblances mais une plate uniformité. »

En 1968, lors de la sortie de son livre : « L’œuvre au Noir », qui met en scène Zénon, un personnage libre penseur du 16ème siècle et qui traduit les combats pour la liberté dans les Flandres, Marguerite Yourcenar vient sur Paris et y découvre les inscriptions qui ont marqué les évènements de mai 68.

Fascinée par ses slogans : « il est interdit d’interdire » par exemple, elle soutiendra la lutte des étudiants, pour qui elle est un modèle ;

Marguerite Yourcenar va s’intéresser aux marges de la société, est attirée par les gens différents.

Elle rencontre Elie Wiesel, prix Médicis mais surtout prix Nobel de la paix en 1986.

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UNE CARRIERE COURONNEE DE SUCCES.

Si son premier livre, Alexis, a signé le début de la carrière d’écrivain, Marguerite Yourcenar a connu des périodes de dépression, notamment pendant la deuxième guerre mondiale , où elle a choisi de vivre aux Etats-Unis, ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser à ce qui se passe en Europe .

Elle est désargentée, va enseigner, devenir traductrice, se pose des questions sur sa carrière.

A la fin de la guerre, elle décide de s’installer dans un coin tranquille pour qu’elle puisse écrire de manière sereine, sur l’île des Monts déserts. Belle maison en bois, remplie de livres, qu’elle va aménager avec sa compagne.

Elle y écrit « Les mémoires d’Hadrien », roman sous forme épistolaire, où elle se met dans la peau d’un empereur romain. Cette publication datant de 1951 est un énorme succès, qui bénéficie d’une reconnaissance internationale et a assuré à son auteur une grande célébrité. Grâce devient sa traductrice. Les droits d’auteur sont importants, permettant à Marguerite Yourcenar de se consacrer à l’écriture.

En 1968 paraît L’œuvre au noir, qui lui vaut le Prix Fémina, décerné à l’unanimité du jury.

En 1970, elle est élue à l’Académie royale de la langue et de la littérature françaises de Belgique.

En 1980, c’est Jean d’Ormesson, représentant les progressistes, qui soutient sa candidature pour rentrer à l’Académie française, alors qu’aucune femme n’y a jamais été admise. Le vote est serré, le résultat très commenté.

Après son installation, Marguerite Yourcenar ne viendra pas siéger, tant sa nomination a entraîné de polémiques.

La même année, elle est promue officier de la légion d’honneur, puis commandeur quelques années plus tard.

Elle est la première femme dont l’œuvre a été publiée de son vivant dans La Pléiade.

Elle laisse un patrimoine littéraire d’une grande richesse.                                                       Marie Pierre Fourdinier, UTL, le 4/04 /2023